Le bonheur est dans le jardin d'Epicure (page 3 sur 4)

Lucrèce
Démocrite
Epicure

Une éthique du plaisir bien entendu
Une fois débarrassée de cette illusion et de ces craintes vaines, la philosophie épicurienne nous invite à transformer notre vie. Une très belle métaphore, qui traverse toute la philosophie grecque, exprime le sens profond de cette conversion éthique. Le sage, nous disent les Grecs, doit « sculpter sa propre statue ». Or, pour les Anciens, la sculpture est un art qui enlève, par opposition à la peinture, qui est un art qui ajoute : la statue préexiste dans le bloc de marbre brut et il suffit d'enlever le superflu pour la faire apparaître. Prendre le superflu pour l'essentiel, le superficiel pour le profond : voilà la cause des malheurs de notre vie et des troubles de notre âme. Croire, par exemple, comme Platon ou les stoïciens, que nos vies sont orientées par l'amour du Bien est illusoire : en réalité, dit Epicure, l'individu n'est mû que par la recherche de son plaisir et de son intérêt. C'est pourquoi il faut « choisir les vertus à cause du plaisir et non pour elles-mêmes ». Encore faut-il savoir ce qu'est le véritable plaisir. Et, la plupart du temps, l'homme l'ignore. Recherchant le plaisir, il se rend, par sa propre faute (par ignorance ou par faiblesse), incapable de l'atteindre, soit parce qu'il ne peut se satisfaire de ce qu'il a, soit parce qu'il vise des plaisirs hors de sa portée, soit parce qu'il en gâche la jouissance par la crainte incessante de la perte éventuelle. Quel est donc le vrai plaisir ?

Hiérarchiser nos désirs
Comme les hédonistes (voir encadré), Epicure conçoit le plaisir comme celui de la chair, du « ventre » ; c'est à lui que se ramènent toujours les biens spirituels et les valeurs dites supérieures. Mais, contre les hédonistes, il le définit comme étant « en repos », c'est-à-dire comme absence de douleur. Cette conception est la seule, dit-il, qui nous permette de sortir de la spirale absurde dans laquelle nous sommes, la plupart du temps, enfermés : souffrir pour jouir d'un plaisir éphémère, qui s'épuise dans une nouvelle frustration, qui engage alors un autre désir, puis, derechef, une souffrance... et ce à l'infini. Cueillir le plaisir du moment n'est donc pas épicurien. Le salut ne se gagne pas dans une succession de petits instants de bonheur ; il faut assurer, pour la vie « tout entière », le maximum de plaisir et le minimum de douleur. Par quoi l'épicurisme annonce l'intuition fondamentale de l'utilitarisme.

C'est pour rompre avec cet enfer « consumériste » qu'Epicure propose, dans sa « Lettre à Ménécée », une typologie des désirs. Il y a d'abord les désirs naturels et nécessaires, qui relèvent des besoins élémentaires, vitaux (boire ou manger) : ceux-ci peuvent être assouvis sans limite, car ils sont naturellement limités. Il y a ensuite les désirs naturels et non nécessaires (comme ceux de la gastronomie, de l'art ou de la sexualité) : ceux-ci ne suppriment pas une souffrance, mais visent à des variations dans le plaisir. Le sage doit, avec prudence, les limiter pour ne pas s'y perdre. Viennent enfin les « désirs vides », qui ne sont ni naturels ni nécessaires (par exemple, les appétits de richesse, de gloire ou d'immortalité), dont le sage doit absolument se départir. Pour parvenir à cette discipline des désirs, qui ne doit jamais devenir une triste ascèse puisque la joie de vivre est la condition et le but de l'éthique, Epicure nous invite à une série de travaux pratiques.


© le point 02/08/02 - N°1559 - Page 69 - 3137 mots

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