Le chêne(1/2)
	       

Voilà ce chêne solitaire Dont le rocher s'est couronné, Parlez à ce tronc séculaire, Demandez comment il est né. Un gland tombe de l'arbre et roule sur la terre, L'aigle à la serre vide, en quittant les vallons, S'en saisit en jouant et l'emporte à son aire Pour aiguiser le bec de ses jeunes aiglons; Bientôt du nid désert qu'emporte, la tempête Il roule confondu dans les débris mouvants, Et sur la roche nue un grain de sable arrête Celui qui doit un jour rompre l'aile des vents; L'été vient, l'Aquilon soulève La poudre des sillons, qui pour lui n'est qu'un jeu, Et sur le germe éteint où couve encor la sève En laisse retomber un peu ! Le printemps de sa tiède ondée L'arrose comme avec la main ; Cette poussière est fécondée Et la vie y circule enfin! La vie ! à ce seul mot tout oeil, toute pensée, S'inclinent confondus et n'osent pénétrer ; Au seuil de l'Infini, c'est la borne placée ; Où la sage ignorance et l'audace insensée Se rencontrent pour adorer ! Il vit, ce géant des collines ! Mais avant de paraître au jour, Il se creuse avec ses racines Des fondements comme une tour. Il sait quelle lutte s'apprête, Et qu'il doit contre la tempête Chercher sous la terre un appui; Il sait que l'ouragan sonore L'attend au jour !.., ou, s'il l'ignore, Quelqu'un, du moins, le sait pour lui ! Ainsi quand le jeune navire Où s'élancent les matelots, Avant d'affronter son empire, Veut s'apprivoiser sur les flots, Laissant filer son vaste câble, Son ancre va chercher le sable Jusqu'au fond des vallons mouvants, Et sur ce fondement mobile Il balance son mât fragile Et dort au vain roulis des vents ! Il vit ! Le colosse superbe Qui couvre un arpent tout entier Dépasse à peine le brin d'herbe Que le moucheron fait plier ! Mais sa feuille boit la rosée, Sa racine fertilisée Grossit comme une eau dans son cours, Et dans son coeur qu'il fortifie Circule un sang, ivre de vie, Pour qui les siècles sont des jours ! Les sillons où les blés jaunissent Sous les pas changeants des saisons, Se dépouillent et se vêtissent Comme un troupeau de ses toisons ; Le fleuve naît, gronde et s'écoule, La tour monte, vieillit, s'écroule ; L'hiver effeuille le granit, Des générations sans nombre Vivent et meurent sous son ombre, Et lui ? voyez ! il rajeunit ! Son tronc que l'écorce protège, Fortifié par mille noeuds, Pour porter sa feuille ou sa neige S'élargit sur ses pieds noueux ; Ses bras que le temps multiplie, Comme un lutteur qui se replie Pour mieux s'élancer en avant, Jetant leurs coudes en arrière, Se recourbent dans la carrière Pour mieux porter le poids du vent ! ....

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Harmonies poétiques et religieuses



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