Le grand pin et le bouleau Il y a bien longtemps, avant que les hommes n'arrivent
dans le pays, les arbres étaient capables de parler. Le bruissement
de leurs feuilles était leur langage calme et reposant. Lorsqu'ils
agitaient leurs branches en tous sens dans le vent violent, leurs paroles
étaient des discours pleins de courage ou remplis de peur.
La forêt était peuplée d'une multitude d'arbres de toutes
sortes. L'érable laissait couler sa sève sucrée pour
les oiseaux assoiffés. Un grand nombre d'oiseaux nichaient dans ses
branches. Les merles venaient déposer leurs petits ufs bleus
dans des nids bien installés. L'érable les protégeait
du vent et de la pluie, toujours prêt à rendre service. Il
était respecté aux alentours.
Pas bien loin de lui, un orme élevait ses longues branches vers le
ciel. L'orme aimait le soleil et chacune de ses branches s'élançaient
vers ses rayons. Les orioles, des oiseaux ressemblant aux rouges gorge mais
en plus petit construisaient leurs nids balançoires dans sa ramure
sachant qu'ils se trouvaient à l'abri dans les hauteurs.
Plus loin encore, le thuya offrait durant l'hiver l'hébergement à
des familles entières d'oiseaux. Lorsque le froid faisait rage, le
thuya refermait ses épaisses branches sur eux et les gardait bien
au chaud. Les oiseaux étaient si confortablement installés
qu'ils mettaient du temps, le printemps venu, à quitter leurs logis
dans le thuya.
Le bouleau se tenait à peu de distance. Il était mince et
élégant et son écorce douce et blanche le distinguait
des autres. Ses bras souples et gracieux s'agitaient à la moindre
brise. Au printemps, ses feuilles vert tendre étaient si fines qu'elles
laissaient passer la lumière du soleil au travers.
Quand les hommes arrivèrent dans ces lieux, ils se servirent de l'écorce
du bouleau pour fabriquer des canots, des maisons et même les récipients
dans lesquels ils cuisaient leurs aliments.
Mais il arriva un jour que le bouleau, à cause de sa beauté,
se mit à mépriser tout le monde.
Le grand pin était le roi de la forêt. C'est à lui que
chaque arbre devait faire un salut en courbant la tête un peu comme
on manifeste son obéissance au roi. Et ce roi était le plus
grand, le plus majestueux, le plus droit de tous les arbres de la forêt.
En plus de sa taille, sa magnifique vêture vert foncé assurait
son autorité.
Un jour d'été, la forêt resplendissait des parfums et
des couleurs de milliers de fleurs et un éclatant tapis de mousse
recouvrait les coins ombragés du sol. Une quantité d'oiseaux,
des gros, des petits, des bleus, des gris, des jaunes et des rouges, n'arrêtaient
pas de chanter. Les arbres bougeaient doucement et agitaient leurs feuilles
qui étaient des rires et des gais murmures de contentement. L'érable
remarqua que le bouleau ne participait pas à cette réjouissance
collective.
- Es-tu malade, bouleau ? demanda le gentil érable.
- Pas du tout, répondit le bouleau en agitant ses branches de façon
brusque. Je ne me suis jamais si bien senti. Mais pourquoi donc devrais-je
me joindre à vous qui êtes si ordinaires ?
L'érable, surpris de cette réponse, se dit que le roi grand
pin ne serait pas content d'entendre de telles paroles. Car la première
tâche de Grand Pin était de faire respecter l'harmonie parmi
ses sujets.
- Tais-toi ! dirent les arbres au bouleau. Si le grand pin t'entend...
Tous les arbres étaient très solidaires les uns des autres
comme le sont les frères et les surs qui s'entraident. Seul,
le bouleau refusait l'amitié de ses compagnons. Il se mit à
agiter ses branches avec mépris et déclara :
- Je me fiche bien du roi. Je suis le plus beau de tous les arbres de la
forêt et dorénavant je refuserai de courber la tête pour
le saluer !
Le grand pin, qui s'était assoupi, s'éveilla tout d'un coup
en entendant son nom. Il secoua ses fines aiguilles pour les remettre en
place et s'étira, s'étira en redressant son long corps.
- Bouleau, que viens-tu de dire ? lança-t-il.
Tous les arbres se mirent à trembler car ils se doutaient bien que
la colère grondait dans le cur du grand pin. Mais le bouleau
ne semblait nullement craindre sa colère. Il étala ses branches
avec dédain, les agita dans un sens et dans l'autre et dit d'un ton
hautain :
- Je ne vais plus vous saluer, grand pin. Je suis le plus bel arbre de la
forêt, plus beau que tous les autres, plus beau même que vous
!
Le grand pin se fâcha. Ses bras se mirent à s'agiter bruyamment.
Et tous les arbres attendirent dans le plus grand silence la suite des événements.
- Bouleau, lança le roi pin, tu es devenu vaniteux ! Je vais t'apprendre
une leçon que tu n'oublieras jamais.
Le grand pin se pencha en direction du bouleau et frappa sa tendre écorce
de toutes ses forces. Ses aiguilles lacérèrent la douce peau
blanche du bouleau.
Enfin, il dit :
- Que tous apprennent par toi, bouleau, que l'orgueil et la vanité
sont mauvais.
Depuis ce jour, l'écorce de Bouleau est marquée de fines cicatrices
noires. C'est le prix qu'il dut payer pour sa vanité. Tous les membres
de sa famille, sans exception, ont gardé, marquée dans leur
peau, la trace de la colère du roi grand pin.
Conte du Québec - adapté d'un
conte Ojiboué
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